SPOTLIGHT #18 : La décision suisse sur les AT1 – Une victoire juridique, mais un chemin complexe vers l’indemnisation

SPOTLIGHT #18 : La décision suisse sur les AT1 – Une victoire juridique, mais un chemin complexe vers l’indemnisation

Chez Lead up, nous nous engageons à fournir à nos clients les solutions les plus innovantes en matière de résolution des conflits, adaptées à leurs contextes sectoriels spécifiques. Pour ce faire, nous devons rester à l’affût des développements récents dans les secteurs de nos clients et analyser ces évolutions en fonction de leurs besoins. Chaque mois, dans le « Lead up Spotlight », nous partagerons avec vous – nos collègues, clients et partenaires potentiels – notre analyse sur un développement récent relatif à la résolution des conflits dans un secteur qui nous tient à cœur ainsi qu’à nos clients.

Le « Lead up » Spotlight de ce mois-ci porte sur la récente décision du Tribunal administratif fédéral suisse concernant les obligations AT1 de Credit Suisse.

Le contexte : Une hiérarchie inversée

Pour comprendre la portée de cette décision, il faut revenir au week-end frénétique du 19 mars 2023. Alors que Credit Suisse faisait face à une crise aiguë de confiance, le gouvernement suisse a orchestré son acquisition d’urgence par UBS afin d’éviter un effondrement systémique.

Au cœur de la controverse se trouvent les obligations Additional Tier 1 (AT1). Ces instruments financiers hybrides sont conçus pour agir comme des « amortisseurs » : si le niveau de fonds propres d’une banque tombe en dessous d’un certain seuil, ces obligations sont destinées à être dépréciées pour sauver la banque.

Dans ce cas, le régulateur suisse (FINMA) a ordonné la dépréciation totale d’environ 16 milliards CHF d’obligations AT1, ramenées à zéro. FINMA a justifié cette mesure en affirmant que le soutien en liquidité de l’État constituait un « événement de viabilité ». Cependant, cette décision a choqué les marchés mondiaux, car les actionnaires ont reçu une compensation (sous forme d’actions UBS), tandis que les obligataires n’ont rien obtenu. Cela a inversé la hiérarchie traditionnelle en matière d’insolvabilité, où les actionnaires doivent absorber les pertes avant les créanciers.

Fait crucial : cette dépréciation n’était pas initialement permise par la loi ou les contrats obligataires (la banque étant encore solvable). Pour surmonter cet obstacle, le Conseil fédéral suisse a utilisé ses pouvoirs d’urgence, un dimanche, pour modifier l’« Ordonnance sur la liquidité », en y insérant un nouvel article 5a. Cette disposition spécifique a été la « clé juridique » permettant la dépréciation, donnant rétroactivement à FINMA le pouvoir de ramener les obligations à zéro en lien avec l’assistance en liquidité. En pratique, les règles du jeu ont été modifiées quelques heures avant la signature de l’accord.

La décision récente : Le décret était illégal

Dans une décision qui a résonné dans la communauté mondiale du restructuring, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a récemment rendu son jugement sur cette dépréciation controversée. Le Tribunal a estimé que le régulateur avait agi en dehors du cadre légal.

Le TAF a jugé que le décret de la FINMA du 19 mars 2023 ne reposait pas sur une base légale suffisante. Son raisonnement repose sur deux constats essentiels :

  • La liquidité n’est pas le capital : Le Tribunal a conclu que l’« événement de viabilité » contractuel n’avait jamais été déclenché. Au moment de la dépréciation, Credit Suisse respectait ses exigences réglementaires en matière de capital. La crise était liée à la liquidité, non à la solvabilité. Le Tribunal a rejeté l’argument selon lequel le soutien en liquidité de l’État équivalait à un soutien en capital déclenchant la dépréciation contractuelle.
  • Hiérarchie des normes : Le Tribunal a estimé que l’Ordonnance d’urgence du Conseil fédéral, qui donnait à FINMA le pouvoir d’ordonner la dépréciation, était inconstitutionnelle. Une atteinte aussi grave au droit de propriété, notamment en inversant la hiérarchie de l’insolvabilité en privilégiant les actionnaires par rapport aux créanciers subordonnés, nécessitait une loi formelle adoptée par le Parlement et ne pouvait se fonder sur une simple règle exécutive d’urgence. Par conséquent, le décret de la FINMA fondé sur cette ordonnance était dépourvu de base légale valide.

Perspectives stratégiques : Les voies de recours

Il est essentiel de comprendre la portée procédurale de cette décision. Le Tribunal administratif fédéral agit principalement comme juridiction de contrôle de la légalité administrative. Bien qu’il ait déclaré la dépréciation « illégale » et révoqué formellement le décret, cette victoire crée un paradoxe pratique.

Le problème réside dans le remède. Le Tribunal n’a pas ordonné la restitution, c’est-à-dire la réintégration des obligations. Credit Suisse n’existant plus en tant qu’entité indépendante, ayant été absorbée par UBS, rétablir les obligations semble désormais juridiquement et pratiquement impossible. Elles ne peuvent simplement être « réactivées ».

La stratégie des investisseurs se déplace donc de la contestation de l’acte administratif vers la recherche d’une indemnisation par d’autres voies. Trois options se dessinent :

  1. Négociation avec UBS : L’illégalité de la dépréciation étant désormais confirmée, le rapport de force change. UBS, en tant que successeur légal de Credit Suisse, fait face à une incertitude prolongée et à un risque réputationnel. Un règlement amiable pourrait être une option viable, la banque préférant clore ce chapitre plutôt que de subir des années de contentieux fondés sur un acte jugé illégal. Il a été rapporté le mois dernier que certains investisseurs ont déjà emprunté cette voie.
  2. Contentieux interne contre l’État : Les investisseurs peuvent poursuivre la Confédération suisse devant les juridictions nationales. L’illégalité étant établie, le fondement d’une action en responsabilité de l’État est posé.
    Le défi : Les demandeurs doivent prouver le lien de causalité, c’est-à-dire démontrer que sans le décret illégal, ils auraient récupéré une valeur. L’État arguera probablement que sans intervention, la banque aurait fait faillite, rendant les obligations sans valeur.
    La juridiction : Ces actions seraient portées devant le Tribunal administratif fédéral ou le Tribunal fédéral, selon la procédure.
  3. Arbitrage international : Pour les investisseurs étrangers, une autre option pourrait se situer hors du système suisse.
    Le mécanisme : Les investisseurs issus de pays liés à la Suisse par des traités bilatéraux d’investissement (TBI) pourraient engager une procédure d’arbitrage investisseur-État (ISDS).
    L’avantage : Un tribunal international offre un forum neutre, détaché des considérations politiques ou budgétaires suisses. De plus, la norme juridique change : même si les tribunaux suisses estiment que les investisseurs ne peuvent demander des dommages, le droit international pourrait qualifier la dépréciation d’expropriation sans compensation.

Conclusion

Les tribunaux suisses ont affirmé la primauté de l’État de droit sur l’ingénierie financière d’urgence. Le décret du régulateur était illégal. La question n’est plus de savoir si les droits des obligataires ont été violés, mais comment cette violation sera réparée. Que ce soit par la négociation avec UBS, devant les tribunaux suisses ou devant un tribunal arbitral international, la quête de l’indemnisation commence.

Disclaimer : Ce post présente des développements juridiques généraux et ne constitue pas un conseil juridique suisse ou anglais. La situation concernant le contentieux des AT1 de Credit Suisse est en évolution.