SPOTLIGHT #17 : L’ARBITRAGE SPORTIF A L’EPREUVE DU DROIT DE L’UNION : VERS UN CONTROLE JURIDICTIONNEL RENFORCE DES SENTENCES DU TAS

SPOTLIGHT #17 : L’ARBITRAGE SPORTIF A L’EPREUVE DU DROIT DE L’UNION : VERS UN CONTROLE JURIDICTIONNEL RENFORCE DES SENTENCES DU TAS

Chez Lead up, nous nous engageons à fournir à nos clients les solutions les plus innovantes en matière de résolution des conflits, adaptées à leurs contextes sectoriels spécifiques. Pour ce faire, nous devons rester à l’affût des développements récents dans les secteurs de nos clients et analyser ces évolutions en fonction de leurs besoins. Chaque mois, dans le « Lead up Spotlight », nous partagerons avec vous – nos collègues, clients et partenaires potentiels – notre analyse sur un développement récent relatif à la résolution des conflits dans un secteur qui nous tient à cœur ainsi qu’à nos clients.

Le « Lead up Spotlight » de ce mois-ci revient sur la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) rendue le 1er août 2025 dans l’affaire Royal Football Club Seraing c. FIFA et al. (affaire C-600/23), qui redéfinit les conditions de reconnaissance des sentences arbitrales sportives dans l’Union européenne.

  • Les faits de l’affaire

Le Royal Football Club Seraing (RFC Seraing), club belge de football, a conclu en 2015 deux contrats avec Doyen Sports Investment Ltd, société maltaise spécialisée dans le financement de clubs. Ces contrats portaient sur la cession partielle des droits économiques de plusieurs joueurs, en échange de financements. Ces pratiques, connues sous le nom de third-party ownership (TPO), sont interdites par le Règlement de la FIFA.

La FIFA a ouvert une procédure disciplinaire contre le club, qui a abouti à une décision en septembre 2015 (interdiction d’enregistrer des joueurs pendant quatre périodes et amende de 150 000 CHF). Le RFC Seraing a contesté cette décision devant la commission de recours de la FIFA, puis devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), qui a confirmé les sanctions. Le Tribunal fédéral suisse a ensuite rejeté le recours du club contre la sentence du TAS.

Parallèlement, le RFC Seraing a engagé une procédure devant les juridictions belges, contestant la légalité des règles FIFA au regard du droit de l’Union, notamment les libertés de circulation et les règles de concurrence. La cour d’appel de Bruxelles a rejeté les demandes, considérant que la sentence du TAS avait autorité de chose jugée et force probante.

Le club a formé un pourvoi en cassation, amenant la Cour de cassation belge à poser deux questions préjudicielles à la CJUE sur la compatibilité avec le droit de l’Union de la reconnaissance automatique de l’autorité de la chose jugée et de la force probante d’une sentence arbitrale rendue hors UE, sans contrôle juridictionnel effectif par une juridiction habilitée à saisir la CJUE.

  • La décision de la CJUE

 

  • Le dispositif de la Cour

La CJUE a jugé que le droit de l’Union s’oppose à ce que :

  • l’autorité de la chose jugée soit conférée à une sentence du TAS sur le territoire d’un État membre, dans les relations entre les parties au litige, lorsque ce litige est lié à l’exercice d’un sport en tant qu’activité économique dans l’Union et que la conformité de la sentence aux principes et dispositions de l’ordre public de l’Union n’a pas été préalablement et effectivement contrôlée par une juridiction nationale habilitée à saisir la CJUE ;

une force probante soit en conséquence conférée à cette sentence dans les relations entre les parties au litige et les tiers.

  • Le raisonnement de la Cour

 Protection juridictionnelle et arbitrage imposé

  • La CJUE rappelle que l’article 19 §1 TUE impose aux États membres de garantir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Cette exigence est renforcée par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et le mécanisme du renvoi préjudiciel (article 267 TFUE).
  • La CJUE distingue l’arbitrage volontaire (librement consenti) de l’arbitrage imposé, comme dans les litiges sportifs régis par les statuts de la FIFA.
  • Le recours au TAS est imposé unilatéralement par la FIFA, ce qui limite l’accès à une juridiction nationale habilitée à saisir la CJUE

Ordre public de l’Union et contrôle juridictionnel

  • La CJUE rappelle que les libertés de circulation (articles 45, 56, 63 TFUE) et les règles de concurrence (articles 101, 102 TFUE) font partie de l’ordre public de l’Union.
  • Toute sentence arbitrale portant sur ces matières doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif, même à titre incident.
  • Les juridictions nationales doivent vérifier la conformité des sentences arbitrales étrangères à ces principes avant de leur reconnaître des effets contraignants.

Effets juridiques des sentences arbitrales

  • La Cour estime ainsi qu’une sentence arbitrale rendue hors UE (comme celle du TAS, basé en Suisse) ne peut avoir automatiquement autorité de chose jugée dans un État membre sans contrôle préalable.
  • Les juridictions nationales doivent refuser de conférer autorité ou force probante à une sentence arbitrale non contrôlée, sauf si sa conformité à l’ordre public de l’Union est établie.
  • Ce contrôle est d’autant plus nécessaire lorsque l’arbitrage est imposé et non librement consenti, comme il est de coutume dans les règlements de nombreuses fédérations sportives.
  • Analyse et portée de l’arrêt
  • Cet arrêt impose aux États membres de garantir un contrôle juridictionnel effectif des sentences arbitrales rendues hors UE avant de leur reconnaître des effets contraignants.
  • Les juridictions nationales de l’UE doivent ainsi pouvoir contrôler l’interprétation qui a été faites par le tribunal arbitral des principes et dispositions faisant partie de l’ordre public de l’Union, les conséquences juridiques qui y sont attachées et la qualification juridique qui a été donnée aux faits au regard de ladite interprétation.
  • Bien que la CJUE ne suive pas entièrement l’avocate générale Tamara Ćapeta, qui proposait un contrôle intégral au regard du droit de l’Union, elle adopte une lecture large de l’ordre public, incluant la liberté de prestation de services et la libre circulation des capitaux.
  • L’arrêt limite l’effet automatique des sentences du TAS dans l’ordre juridique de l’Union et ouvre la voie à une judiciarisation accrue des litiges sportifs, avec un contrôle renforcé des juridictions nationales.
  • L’arrêt s’inscrit dans la continuité des décisions Eco Swiss (C-126/97) et International Skating Union (C-124/21 P), affirmant que l’arbitrage ne peut contourner les garanties fondamentales du droit de l’Union.
  • Cette solution fait également écho à l’arrêt Semenya c/ Suisse rendu par la CEDH le 10 juillet 2025, dans lequel la Cour a souligné que les spécificités de l’arbitrage sportif — notamment la compétence exclusive et obligatoire du TAS — imposent un contrôle juridictionnel particulièrement rigoureux sur les sentences du TAS. Elle a estimé que le Tribunal fédéral suisse, en ne répondant pas à ce niveau d’exigence, a violé l’article 6 §1 de la CEDH, relatif au droit à un procès équitable.
  • Enfin, cet arrêt marque un tournant dans la régulation du sport professionnel en Europe : il invite les fédérations sportives à repenser leurs mécanismes de résolution des litiges, notamment en matière de TPO et d’arbitrage obligatoire, et à intégrer les exigences du droit de l’Union dans leurs règlements et procédures disciplinaires.