SPOTLIGHT #15 : Le Tribunal fédéral suisse et la clause de la nation la plus favorisée dans l’Accord de l’OCI : Une reconnaissance de la flexibilité procédurale
Chez Lead up, nous nous engageons à fournir à nos clients les solutions les plus innovantes en matière de résolution des conflits, adaptées à leurs contextes sectoriels spécifiques. Pour ce faire, nous devons rester à l’affût des développements récents dans les secteurs de nos clients et analyser ces évolutions en fonction de leurs besoins. Chaque mois, dans le « Lead up Spotlight », nous partageons avec vous – nos collègues, clients et partenaires potentiels – notre analyse sur un développement récent relatif à la résolution des conflits dans un secteur qui nous tient à cœur ainsi qu’à nos clients.
Ce mois-ci, le « Lead up Spotlight » se penche sur l’importation de dispositions relatives à la résolution des litiges issues d’autres traités dans le cadre d’arbitrages fondés sur l’Accord de l’OCI.
Une décision marquante du 3 juin 2025
Dans une décision importante rendue le 3 juin 2025, le Tribunal fédéral suisse a confirmé une sentence arbitrale de 74 millions de dollars américains en faveur de 19 membres de la famille Gargour contre la Libye, fondée sur l’Accord de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en matière d’investissement. Cette décision se distingue notamment par sa reconnaissance de l’utilisation d’une clause de la nation la plus favorisée (NPF) pour surmonter une impasse procédurale dans la constitution du tribunal arbitral.
Contexte : Le différend et l’impasse procédurale
Le litige trouve son origine dans l’expropriation des biens de la famille Gargour à la suite du coup d’État de 1969 en Libye. Après des décennies de procédures infructueuses devant les juridictions libyennes, les demandeurs ont engagé une procédure d’arbitrage en 2018 sur la base de l’Accord de l’OCI de 1981.
Cet accord prévoit un mécanisme d’arbitrage, mais stipule qu’en cas de désaccord sur la nomination du président du tribunal, cette nomination revient au Secrétaire général de l’OCI. Or, ce dernier n’a jamais répondu aux sollicitations répétées. Pour sortir de cette impasse, les demandeurs ont invoqué la clause NPF de l’article 8 de l’Accord de l’OCI afin d’importer les règles d’arbitrage de la CNUDCI issues du traité bilatéral d’investissement entre la France et la Libye, permettant à la Cour permanente d’arbitrage (CPA) d’agir comme autorité de nomination.
La CPA a désigné Andreas Reiner comme autorité de nomination, qui a ensuite nommé Samaa Haridi en tant que présidente du tribunal. La Libye a contesté la compétence du tribunal, puis a demandé l’annulation de la sentence devant le Tribunal fédéral suisse.
Raisonnement du Tribunal fédéral suisse : la clause NPF comme passerelle procédurale
Le Tribunal fédéral suisse a rejeté la contestation de la Libye et confirmé la sentence. Il a formulé plusieurs constats importants :
1. Les clauses NPF peuvent s’étendre aux droits procéduraux
Le Tribunal a estimé que la clause NPF de l’Accord de l’OCI ne se limitait pas aux protections substantielles, mais pouvait également inclure des garanties procédurales, notamment les mécanismes de constitution du tribunal. Il a jugé que cette clause garantissait aux investisseurs un traitement « non moins favorable » que celui accordé aux investisseurs d’autres États, ce qui pouvait inclure l’accès à des procédures de résolution des litiges plus efficaces.
Cette interprétation s’inscrit dans la lignée de l’approche libérale adoptée dans des affaires telles que Maffezini c. Espagne, où les droits procéduraux ont été jugés importables. Le Tribunal a distingué cette affaire des situations où l’ordre public pourrait s’opposer à une telle importation, soulignant qu’ici, la clause NPF comblait une lacune procédurale sans contourner de règles impératives.
2. Le silence de l’Accord de l’OCI n’exclut pas une solution complémentaire
Le Tribunal a reconnu que l’Accord de l’OCI ne prévoyait aucun mécanisme de secours en cas d’inaction du Secrétaire général. Il a estimé que ce silence ne devait pas rendre l’arbitrage impossible, et que le recours à la clause NPF pour résoudre l’impasse était conforme à l’objet et au but du traité.
3. La compétence était valablement établie
La Libye soutenait que l’Accord de l’OCI n’était pas encore en vigueur pour le Liban et la Jordanie au moment des expropriations. Le tribunal arbitral, suivi par le Tribunal fédéral, a rejeté cet argument, considérant que le différend ne résultait pas des expropriations elles-mêmes, mais de l’absence de compensation – une violation continue qui s’étendait à la période où le traité était en vigueur.
Note complémentaire : La position française dans l’affaire DS Construction c. Libye
La décision suisse contraste avec celle rendue en 2021 par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire DS Construction c. Libye, où la cour avait annulé une sentence fondée sur l’Accord de l’OCI.
Dans cette affaire, le tribunal arbitral avait également invoqué la clause NPF pour importer les règles de la CNUDCI et permettre à la CPA de nommer le président du tribunal. Toutefois, la cour française a adopté une interprétation plus restrictive, estimant que la clause NPF de l’Accord de l’OCI ne s’étendait pas aux droits procéduraux et que la CPA n’avait pas compétence pour intervenir dans la constitution du tribunal.
Plutôt que de valider une importation procédurale fondée sur la clause NPF, la cour française a proposé une solution alternative fondée sur le droit français : les demandeurs auraient dû saisir le juge d’appui, juridiction française compétente pour soutenir les procédures arbitrales en cas de blocage.
Cela reflète une approche plus formaliste et institutionnelle de l’interprétation des traités en France, offrant une voie différente mais viable pour résoudre les impasses procédurales dans le cadre de l’Accord de l’OCI.
Enjeux pour l’arbitrage fondé sur l’OCI et au-delà
La décision du Tribunal fédéral suisse constitue une jurisprudence de référence qui confirme la viabilité de l’arbitrage investisseur-État fondé sur l’Accord de l’OCI, même en l’absence d’un cadre institutionnel fonctionnel. Elle valide également l’importation procédurale fondée sur une clause NPF, offrant aux investisseurs une voie pour surmonter l’inertie institutionnelle et accéder à l’arbitrage lorsque les mécanismes du traité échouent.
Pour les investisseurs et leurs conseils, cette décision souligne l’importance du choix du siège de l’arbitrage et de la disponibilité de solutions procédurales alternatives. En Suisse, les clauses NPF peuvent ouvrir la voie à la compétence juridictionnelle, tandis qu’en France, le recours au juge d’appui constitue une alternative institutionnelle plus ancrée.
